1.2 Epidémiologie

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Sommaire

    1.2.1 Incidence et vaccination

    Selon l’OMS, en 2011, la couverture vaccinale mondiale pour la rougeole avait atteint 84% (Figure 1.3) a Citation a. Pour obtenir les données les plus récentes, consulter le site :
    http://www.who.int/immunization_monitoring/diseases/measles/en/index.html.
    . Toutefois, seulement 65% des pays dans le monde avaient atteint une couverture vaccinale supérieure ou égale à 90%.

     

    Figure 1.3 : Incidence annuelle et couverture vaccinale globale rougeole, 1980-2011

     

    Rougeole_Figure 1-3

    Source : OMS/IVB

     

    La vaccination permet de contrôler la rougeole et modifie l’épidémiologie de la maladie.

     

    Ces modifications sont liées :

    • Au mécanisme d’action du vaccin : le vaccin protège l’individu contre l’infection ; il réduit le nombre de sujets susceptibles et par conséquent, la transmission du virus ;
    • A la couverture vaccinale : lorsque plus de 90% de la population est vaccinée, la transmission est réduite et le risque d’exposition au virus est faible pour toute la population. C’est ce qu’on appelle l’immunité collective ou immunité de groupe : les personnes non vaccinées sont d’autant plus protégées que le groupe de personnes vaccinées qui les entoure est important.

     

    Une couverture vaccinale élevée aura pour effet de :

    • diminuer l'incidence et la mortalité de la rougeole ;
    • réduire le groupe des susceptibles ;
    • augmenter la proportion de vaccinés parmi les cas ;
    • modifier la répartition par âge des cas ;
    • allonger les intervalles entre les épidémies.

    Incidence, mortalité et intervalles inter-épidémiques

    Lorsque la couverture vaccinale augmente et se maintient à un niveau élevé, on observe une diminution de l’incidence et un espacement des flambées épidémiques. Seul le maintien d’une couverture vaccinale très élevée (plus de 95%) empêche la survenue d’épidémies.

     

    La figure ci-dessous illustre l’évolution de l’incidence de la rougeole et des risques épidémiques en fonction des couvertures vaccinales obtenues par la primovaccination (une dose à partir de l’âge de 9 mois).

     

    Figure 1.4 : Couverture vaccinale, incidence et intervalles inter-épidémiques

     

    Couverture vaccinale faible (moins de 50%)

    L’incidence est élevée dans la population
    avec une circulation intense du virus.

    La rougeole sévit à l’état endémique avec
    des pics épidémiques rapprochés (tous les
    1 à 2 ans).

    Rougeole_Figure 1-4a

    Couverture vaccinale moyenne (60-80%)

    L’incidence diminue considérablement
    dans la population. La circulation du virus
    reste importante.

    La rougeole sévit toujours à l’état
    endémique avec une incidence plus faible
    et des pics épidémiques plus espacés (tous
    les 2 à 4 ans).

    Rougeole_Figure 1-4b

    Couverture vaccinale élevée (plus de 80%)

    L’incidence est faible dans la population.
    Le nombre de cas s’est effondré. Le virus
    circule toujours mais moins intensément.

    La rougeole est toujours endémique mais
    moins intense avec des pics épidémiques
    très espacés (tous les 4 à 8 ans).

    Rougeole_Figure 1-4c

     

    Source : MSF

    Groupe des susceptibles

    Ce groupe comprend les personnes non vaccinées et les personnes n’ayant pas répondu à la vaccination (la protection conférée par une seule dose de vaccin administrée à partir de 9 mois est de 80 à 95% selon les études).

     

    Exemple : Estimation du nombre de susceptibles dans une population de 110 000 enfants de moins de 5 ans

     

    Couverture vaccinale 90% 10% de non vaccinés ............11 000
    Efficacité vaccinale 90% (99 000 vaccinés) 10% de non répondants ..........9 900
      Total des susceptibles .........20 900

     

    Si l’on suppose que dans une population, les activités de vaccination contre la rougeole sont stables (une dose pour les 0-11 mois) et atteignent une couverture de 80%, cela signifie que, chaque année, la fraction non protégée du groupe des 0-11 mois de l’année se cumule aux susceptibles déjà présents dans la population.

     

    En dehors de toute activité de vaccination supplémentaire (administration d’une 2e dose et/ou campagne de vaccination), le virus circule toujours dans la population mais la transmission est faible et peu de cas se déclarent.

     

    Le cumul des susceptibles s’opère d’année en année jusqu’à atteindre une taille critique. On observe alors une augmentation importante du nombre de cas, voire une épidémie qui touche les personnes susceptibles de toutes les classes d’âge (y compris les plus âgés).

     

    Si l’épidémie a été de grande ampleur, la majorité des susceptibles dans la population aura été touchée et sera désormais immunisée. Un nouveau groupe de susceptibles commencera à se former à partir des nouvelles naissances de l’année (Figure 1.5).

     

    Figure 1.5 : Exemple de cumul des susceptibles sur plusieurs années

     

     

    Remarque : on suppose qu’il n’y avait pas de susceptibles en 2004. En 2006, la fraction non protégée des enfants nés en 2005 vient s’additionner aux susceptibles (non répondants et non vaccinés) de l’année et le cumul s’opère ainsi d’année en année.

    Proportion de vaccinés parmi les cas

    L’augmentation de la couverture vaccinale entraîne une forte diminution du nombre de cas.
    Parallèlement, la proportion de vaccinés parmi les cas déclarés augmente. La plupart de ces cas sont alors dus à un échec vaccinal.

     

    Exemple de variation de la proportion de vaccinés parmi les cas de rougeole avec des couvertures vaccinales de 40 et 80% :

     

    Hypothèses :

    Incidence annuelle chez les enfants non vaccinés : 50%
    Incidence annuelle chez les enfants vaccinés : 5%

    Couverture vaccinale 40% Couverture vaccinale 80%
    Nombre total d’enfants 100 000 100 000
    Non vaccinés Nombre d’enfants 60 000 20 000
    Nombre de cas 30 000 10 000
    Vaccinés Nombre d’enfants 40 000 80 000
    Nombre de cas 2 000 4 000
    Nombre total de cas 32 000 14 000
    Proportion de vaccinés parmi les cas 6,3% 28,6%

     

    1.2.2 Facteurs de risque épidémique

    Les facteurs de risque épidémiques doivent être clairement identifiés pour contrôler les flambées et prioriser les activités de prévention et de riposte. Ils sont liés à la dimension du groupe à risque et à la fréquence d’exposition au virus.

    Dimension du groupe à risque

    • Si le taux de natalité est élevé (≥ 4%), la proportion d’enfants (et donc la dimension du groupe de susceptibles potentiels) est grande.
    • Si la couverture vaccinale est insuffisante, le cumul des susceptibles s’opère d’année en année et atteint rapidement une masse critique.

    Fréquence d’exposition au virus

    Plus la population est dense, plus les personnes sont exposées à un foyer de transmission intense du fait de la promiscuité. Les risques sont plus élevés pour :

    • les personnes vivant en zone urbaine précaire ;
    • les populations déplacées ou réfugiées ;
    • les personnes fréquentant les salles d’attente des postes de santé ou hôpitaux (mauvaise aération, regroupement de personnes et présence de cas de rougeole) ;
    • les personnes regroupées en institution (service de pédiatrie, écoles, orphelinats, centre de nutrition, prisons, etc.) ;
    • l’entourage d’un enfant malade (transmission intra-domiciliaire).

     

    Lorsque l’accès aux soins est mauvais, les enfants sont moins vaccinés (accès réduit à la vaccination) et le diagnostic de rougeole est retardé (plus de personnes à risque d’être en contact avec le malade).

    1.2.3 Description des épidémies

    Saisonnalité et propagation

    En zone tropicale, la transmission augmente à la fin de la saison des pluies et s’intensifie pendant toute la saison sèche.

    En zone tempérée, les cas surviennent typiquement à la fin de l’hiver et au début du printemps.

    Classiquement, la maladie se propage des zones à forte densité vers les zones à faible densité de population.
    En milieu rural, où la transmission est plus faible, les flambées épidémiques sont généralement localisées, plus espacées et de moins grande ampleur qu’en milieu urbain.

    Durée et ampleur

    La durée des épidémies varie de quelques semaines à plusieurs mois.
    L’étude de 5 épidémies en zone urbaine, où aucune intervention précoce n’avait eu lieu, a révélé (Figure 1.6) des durées d’épidémies supérieures à 6 mois et un nombre de cas extrêmement variable (2 500 à plus de 53 000).

     

    Figure 1.6 : Durée et ampleur des épidémies, quelques exemples

     

    La durée et l’ampleur des épidémies sont liées à :

    • la taille et à la densité de la population exposée ;
    • la rapidité d’extension de la maladie ;
    • la couverture vaccinale antérieure et la taille de la cohorte de susceptibles ;
    • la rapidité de mise en place d’une vaccination réactive.

    Rapidité d’extension

    Le ratio de reproduction (RR) représente une moyenne du nombre de cas de rougeole secondaires produits à partir d’un cas source. C’est l’indicateur permettant d’estimer la rapidité d’extension d’une épidémie. Un RR faible signifie que l’épidémie progresse lentement.

     

    Il dépend de plusieurs facteurs, dont les 3 principaux sont :

    • la durée de contagiosité de la maladie ;
    • la probabilité de transmission de la maladie à chaque contact ;
    • le nombre de personnes susceptibles parmi la population.

     

    Dans une population complètement susceptible (non protégée), une personne infectée par le virus de la rougeole contaminera entre 12 et 20 personnes [1] Citation 1. Grais R.F., et al. Estimating transmission intensity for a measles epidemic in Niamey, Niger: lessons for intervention. Transactions of the Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene, 2006. 100(9): p. 867-873.
    http://ento.psu.edu/publications/graisetal2006.pdf
    . Dans une zone où la population est partiellement vaccinée ou a déjà été touchée par le virus, le RR est moins élevé.

     

    Différentes études réalisées au cours d’épidémies en Afrique entre 1987 et 2005 ont montré des RR allant de 2,5 à 4,6.

     

    Tableau 1.1 : Ratios de reproduction rougeole déterminés lors d’études dans 3 pays

     

    Lieu et année RR effectif Couverture vaccinale
    Avant Après

    Niakhar (a) Citation a. Zone rurale endémique, primovaccination lors de campagnes de masse successives , Sénégal,
    1987- 2000 [2] Citation 2. Broutin H., et al. Epidemiological impact of vaccination on the dynamics of two childhood diseases in rural Senegal. Microbes and Infection, 2005. 7(4): p. 593-599.

    Avant vaccination : 4,6 Pas de vaccination 38%
    Après vaccination : 3

    Niamey, Niger,
    2003-2004 (b) Citation b. Couverture vaccinale par enquête (carte ou histoire)

    2,8 60% (6-59 mois) 70% (6-59 mois)

    N’djamena, Tchad,
    2005 (b) Citation b. Couverture vaccinale par enquête (carte ou histoire)

    2,5 33% (6-59 mois) 80% (6-59 mois)

    Source : Epicentre/MSF

    Impact de la vaccination réactive

    Des études de modélisation de l'impact de la vaccination lors d'épidémies dans des zones endémiques entre 1995 et 2006 ont montré qu’en l’absence de vaccination réactive, les épidémies sont de plus longue durée. Dans ces contextes, puisque l’extension est lente (RR faible), une vaccination même tardive permet d’éviter de nombreux cas [3] Citation 3. Ferrari M. J., Grais R. F., Bharti N., Conlan A. J. K., Bjørnstad O. N., Wolfson L. J., Guerin P. J., Djibo A., Grenfell B. T. 2008. The dynamics of measles in sub-Saharan Africa. Nature 451, 679–684. [4] Citation 4. Grais RF, DE Radiguès X, Dubray C, Fermon F, Guerin PJ. Exploring the time to intervene. Epidemiol Infect. 2006 Aug;134(4):845-9. Epub 2006 Jan 26. [5] Citation 5. Grais RF, Conlan AJ, Ferrari MJ, Djibo A, Le Menach A, Bjørnstad ON, Grenfell BT. Time is of the essence: exploring a measles outbreak response vaccination in Niamey, Niger. J R Soc Interface. 2008 Jan 6;5(18):67-74. [6] Citation 6. Dubray C, Gervelmeyer A, Djibo A, Jeanne I, Fermon F, Soulier MH, Grais RF, Guerin PJ. Late vaccination reinforcement during a measles epidemic in Niamey, Niger (2003-2004). Vaccine. 2006 May 1;24(18):3984-9. Epub 2006 Feb 8. .

     

    Les 2 graphes suivants présentent la proportion de cas évités chez les enfants de 6 à 59 mois (Figure 1.7) et de 6 mois à 15 ans (Figure 1.8) en fonction du délai de mise en oeuvre de la vaccination.

     

    Figure 1.7 : Proportion de cas évités en fonction de la couverture vaccinale et des délais de vaccination chez les 6-59 mois, Niamey, Niger, 2004

    Rougeole_Figure 1-7

     

    Figure 1.8 : Proportion de cas évités en fonction de la couverture vaccinale et des délais de vaccination chez les 6 mois-15 ans, Niamey, Niger, 2004

    Rougeole_Figure 1-8

    Source : Epicentre/MSF

     

    L’analyse des figures 1.7 et 1.8 montre qu’une vaccination réalisée 120 jours après le début de l’épidémie avec une couverture vaccinale de 80% prévient environ :

    • 40% des cas si vaccination chez les moins de 5 ans (Figure 1.7) ;
    • 60% des cas si vaccination jusqu’à 15 ans (Figure 1.8).

     

    La même intervention à 60 jours aurait permis de prévenir environ :

    • 60% des cas si vaccination chez les moins de 5 ans (Figure 1.7) ;
    • 95% des cas si vaccination jusqu’à 15 ans (Figure 1.8).

     

    La modélisation montre qu’une campagne de vaccination débutée précocement, ciblant une classe d'âge jusqu’à 15 ans et atteignant une couverture vaccinale élevée, permet d’éviter un très grand nombre de cas.

     

    En pratique, la décision concernant les classes d’âge à vacciner doit être soigneusement pesée en fonction des données épidémiologiques disponibles et des moyens mobilisables.

     

    Deux exemples d’épidémies de rougeole et de réponses vaccinales sont présentés en Annexe 1.

     

    Notes
    • (a)Zone rurale endémique, primovaccination lors de campagnes de masse successives
    • (b) Couverture vaccinale par enquête (carte ou histoire)
    Références
    • 1.Grais R.F., et al. Estimating transmission intensity for a measles epidemic in Niamey, Niger: lessons for intervention. Transactions of the Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene, 2006. 100(9): p. 867-873.
      http://ento.psu.edu/publications/graisetal2006.pdf
    • 2.Broutin H., et al. Epidemiological impact of vaccination on the dynamics of two childhood diseases in rural Senegal. Microbes and Infection, 2005. 7(4): p. 593-599.
    • 3.Ferrari M. J., Grais R. F., Bharti N., Conlan A. J. K., Bjørnstad O. N., Wolfson L. J., Guerin P. J., Djibo A., Grenfell B. T. 2008. The dynamics of measles in sub-Saharan Africa. Nature 451, 679–684.
    • 4.Grais RF, DE Radiguès X, Dubray C, Fermon F, Guerin PJ. Exploring the time to intervene. Epidemiol Infect. 2006 Aug;134(4):845-9. Epub 2006 Jan 26.
    • 5.Grais RF, Conlan AJ, Ferrari MJ, Djibo A, Le Menach A, Bjørnstad ON, Grenfell BT. Time is of the essence: exploring a measles outbreak response vaccination in Niamey, Niger. J R Soc Interface. 2008 Jan 6;5(18):67-74.
    • 6.Dubray C, Gervelmeyer A, Djibo A, Jeanne I, Fermon F, Soulier MH, Grais RF, Guerin PJ. Late vaccination reinforcement during a measles epidemic in Niamey, Niger (2003-2004). Vaccine. 2006 May 1;24(18):3984-9. Epub 2006 Feb 8.